Vue depuis le sommet de l'Island Peak

Vue depuis le sommet de l'Island Peak
Du Chamlang à l'Ama Dablam

samedi 6 décembre 2008

Psychose

Stratégie, quand tu nous tiens...

Une des clés de la réussite d'un sommet au-delà de 7000 mètres est la stratégie d'ascension. L'objectif est de décider de l'acclimatation nécessaire tout en s'adaptant à notre condition physique et aux conditions météorologiques : en d'autres termes, faire un nombre d'aller-retours suffisant pour "faire" des globules rouges, permettre à l'organisme de capter plus d'oxygène et ainsi réduire les risques d'oedème, le tout en préservant sa condition physique et en saisissant les fenêtres d'ascension que la montagne nous offre. Plus d'un mois que les discussions excitantes sur la meilleure stratégie à adopter nous démangent, plus d'un mois qu'on essaie de se restreindre - conscients de la stérilité de faire des plans sur la comète. Tout au plus s'est on laissé la petite liberté a Phu d'envisager les différentes possibilités, prétextant de la nécessité de les avoir en tête. Nous les avions en tête depuis bien longtemps. Nous savions qu'une des questions clefs était de décider si une nuit au camp 2 était nécessaire avant de tenter le sommet, nous hésitions sur la possibilité de redescendre au camp 1 sans dormir au camp 2 le jour du sommet et nous réfléchissions sur le nombre de nuit à dormir au camp 1 lors de notre premier portage. La première question a été vite résolue (une fois au camp 2, il faut tenter le sommet! Répéter l'effort d'atteindre le second camp est dangereux et inutile pour atteindre un sommet a 7200 mètres), la seconde était stérile (encore fallait-il se retrouver en situation de le tenter ce sommet...) et la troisième dépendait de paramètres physiques personnels.

Le 16 Novembre au matin, nous nous réveillons au High camp - 5750 mètres a l'altimètre. Ce jour-ci nous montons installer le camp 1 a 6100 mètres. 350 mètres de dénivelés seulement, et pourtant... Nous n'arrivons qu'à 12h après un départ à 9h. Affligeant. A peine plus que du 100 mètres/heure. Aucune difficulté technique majeure, mais une grande concentration pour contourner les dangers vicieux du glacier. Un mur entre 30 et 40 degrés nous met au supplice. On est loin de l'épuisement mais le souffle est court, l'acclimatation d'Alexis est à parfaire, mes sinus me font souffrir le martyre. Chaque respiration de cet air froid et sec est un coup de poignard dans mon cerveau, mes yeux pleurent. Nous arrivons tout de même sous contrôle au pied du mur qui a tant occupé nos esprits. Nous réalisons à peine. Une préoccupation : installer le camp à l'abri des avalanches possibles et décider de la suite. Les questions désormais légitimes arrivent...

La séparation

Pas facile... Décider de se séparer au dessus de 6000 m, avec tous les dangers possibles, après avoir tout préparé, réfléchi, voulu à deux. Je ne pouvais pas rester une nuit de plus, ma sinusite avait fait de ma dernière nuit un enfer - je me sentais capable physiquement de remonter dormir une nuit supplémentaire avant l'ascension finale. Alexis ne se sentait pas de redescendre après les efforts réalisés et encore moins de faire un aller-retour supplémentaire au camp 1 - il avait en revanche besoin de s'acclimater : dormir au dessus de 6000 m, puis récupérer pendant au moins 48h au camp de base. Nous avons fait le choix de suivre les conseils de nos corps, qui ne sont pas toujours les meilleurs... Nous avons fait le choix de se passer de la cordée sur la redescente au camp 1, le parcours étant désormais tracé et évitant les crevasses. Nous avons fait ce choix en pensant au sommet et nous l'avons fait avec conviction.


Psychose

Nous étions proche des jours décisifs. Questions et préoccupations deviennent obsessions et sources de psychoses. Alexis rentrerait demain, et je ne pourrais certainement pas attendre le 23 ou le 24 Novembre pour l'ascension. Les deux climbing Sherpas qui sont restes au camp 1 avec Alexis ont évoqué la date du 21 - 48 heures après leur redescente. Je leur ai pour l'instant opposé un refus, mais je pense que je vais accepter. L'hiver est proche, il n'y a plus de temps à perdre. J'ai à peine regardé le mur, il a l'air d'avoir beaucoup bougé depuis l'expé française de 2002. Les Sherpas me semble-t-il étaient sceptiques. En même temps, Migma est jeune et je ne fais pas confiance a Hongshu qui nous a rejoint au camp de base et qui semble avoir une motivation défaillante. On tentera quelque chose tous les deux au pire - et puis Migma nous suivra, c'est notre pote. La date du 21 tourne dans mon esprit. 3 jours pour se soigner, récupérer des forces. Mais ce mur... J'aurais du aller le voir de plus prêt... Il va falloir évaluer les risques de chute de seracs, d'avalanches. Je me réfugie dans la tente cuisine - au chaud - et il y a de l'ambiance! Les porteurs et cuisiniers sont tous là. Une dizaine de personnes, dans une dizaine de mètres carre. Je me mets sous antibio - la liste des effets secondaires possibles me paniquent. Je scrute le cuisinier pour être sûr de l'hygiène : hors de question de me faire surprendre par mon estomac en plus. Trop classique, trop vécu! Je vais éviter ça au moins. Un bon Dal bat, ça ne risque rien. Lakpha se rend compte que je ne suis pas au top, et en quelques minutes je me retrouve a faire des inhalations, la tête dans un sceau, d'une sorte de baume du tigre local. C'est une petite délivrance. Je saisis ces minutes d'apaisement pour aller me coucher et décider que demain je redescendrai a Yak Karkha ou a Phu pour éviter de trop penser, humer de l'air moins sec et garder la forme. Nous sommes tous les deux seuls dans nos tentes a 1000 mètres de différence, la nuit est longue. Le lendemain les premiers flocons tombent, le vieux tibétain de Yak Karkha me bénit une nouvelle fois, une carcasse de blue sheep sur le trajet témoigne de la présence d'un léopard des neiges dans la région, je remonte au plus vite retrouver Alexis qui doit être redescendu. Les doutes ne sont pas terminés.


Les photos :
http://picasaweb.google.com/guillaume.kretz/Psychose#

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