Vue depuis le sommet de l'Island Peak

Vue depuis le sommet de l'Island Peak
Du Chamlang à l'Ama Dablam

samedi 6 décembre 2008

Notre sommet


Le 18 Novembre, Alexis est donc redescendu. Les nouvelles sont mauvaises. Migma et Hongshu sont allés au début du mur, il est en glace bleue, impossible de fixer des cordes. Ça sera style alpin ou rien... Les séracs sont difficiles à évaluer. L'heure n'est pas encore au renoncement, nous remonterons.

Le 19, la journée est dure - longue et dure. Alexis a un contre-coup des efforts intenses réalisés. Je vais mieux. Il neige, ce n'est pas bon du tout. Il ne faut pas que les températures dégringolent plus, ça serait intenable. Il ne faut pas qu'il neige trop, nous ne pouvons nous permettre de prendre des risques avec les avalanches sur le mur (pentes entre 50 et 70 degrés). Il ne faut pas non plus que le vent se lève, car là-haut c'est exposé (frontière avec les hauts plateaux tibétains, les rafales s'engouffrent dans la cuvette dans laquelle est le camp 1 avant d'être freinées par la barrière himalayenne). On lit pour oublier et on se réfugie dans nos plumes d'oies. Le soir, briefing : on prend la décision de monter dès le lendemain. On va voir ce qu'on peut faire s'il y a une fenêtre météo. Si on ne le sent pas, on peut encore redescendre et retenter quelque chose jusqu'au 24.

Le 20, c'est donc reparti! Mais à vide ce coup-ci. La forme est revenue, je me sens capable de tout. La moraine n'entame pas notre moral, ni le glacier interminable. La neige a cessé, ne laissant qu'une fine pellicule sur la glace. En revanche des gerbes de neige montent à plusieurs mètres de hauteur au camp 1. Quelques nuages à l'horizon et un baromètre stable le matin. On continue. Arrivée vers 12h00 au camp 1. Mon regard se porte cette fois-ci tout de suite sur le mur. Jumelles à la main, je me rapproche : le renoncement m'envahit vite (trop vite ?). Les séracs sont menaçants. On ne voit pas du tout par où passer et on se voit encore moins brocher sur les parties verticales du mur. Il y a un petit goût d'affront, un soupçon d'humiliation, un peu de honte d'avoir cru être capable... Alexis me rappelle la possibilité de cette arête qu'il avait testée lors de sa première montée au camp 1. Elle est à droite du mur. Elle a été empruntée lors de la première expédition au Ratna Chuli par les Japonais. Elle est praticable jusqu'à environ 2/3 de la hauteur du mur. Elle aboutit sur une pente à 80 degrés que les Japonais avaient mis 1 mois à équiper avec une équipe large. En d'autres termes, c'est un cul de sac pour nous. Nous irons aussi haut que possible : 6500 mètres, si les conditions nous le permettent. On se réfugie sous la tente, frustrés mais réalistes et concentrés sur la montée qui nous attend le lendemain. L'après-midi se déroule classiquement avec comme défi pas si évident de faire chauffer la neige afin de préparer nos petits plats (parmentier de poisson s'il vous plaît! ) le tout sans enlever ses gants, ni s'extraire de son duvet. Le soir arrive, de nouvelles inquiétudes avec. Le vent souffle de plus belle. Les nuages arrivent du Sud. On reste serein, mais on s'échange les consignes en cas de dégradation forte de la météo. Tant qu'il ne neige pas, le camp de base reste à distance raisonnable. Il conviendra alors de descendre si la visibilité le permet. Sans routeur météo, l'opportunité de s'échapper de la montagne avant une trop importante dégradation devra être saisie. En revanche, en cas de forte chute de neige, on se sert les coudes sous la tente sans prendre le risque de s'épuiser à vouloir faire une trace en descente. Pour l'instant que du vent, mais quel vent! A l'intérieur de la tente, c'est un tourbillon de petits flocons. Notre chaleur crée de l'humidité qui se cristallise aussi vite. Nos duvets sont blancs. L'ambiance est inquiétante, mais nous arrivons à dormir quelques petites heures.



21/11/2008
Le réveil est plus calme, le froid toujours là. Les chaussures Everest et les moufles en duvet ne suffisent quasiment plus. Nous nous engageons d'un pas lent tout en ayant ce sentiment d'urgence : on n'est pas à l'aise avec la météo, ça peut tourner en quelques heures, ça va tourner. L'arête est magnifique, la chaîne des Annapurnas se dévoilent à nous. La redescente en rappel se déroule bien, les pensées tourbillonnent un peu.



Avec une poignée de M&Ms comme seul repas depuis le matin, on s'attaque à la descente, chargés à nouveau de sacs de 20 kg. Le temps s'assombrit. Il y a de l'énervement, de la frustration désormais. Le vent nous déporte, alors que nous tentons de dompter une fois de plus la moraine. Alexis chute, puis part devant pour en terminer. Chaque pas me demande une grande concentration. Un sentiment de non sens m'envahit, d'inutilité. Que faisons nous sur cette moraine à faire subir ces efforts à nos organismes? Je réalise qu'après plusieurs mois d'expéditions, mon dernier objectif s'est envolé. Mon esprit se tourne pour la première fois depuis bien longtemps vers le passé. Je finis la descente nostalgique mais apaisé.


Les photos :
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Psychose

Stratégie, quand tu nous tiens...

Une des clés de la réussite d'un sommet au-delà de 7000 mètres est la stratégie d'ascension. L'objectif est de décider de l'acclimatation nécessaire tout en s'adaptant à notre condition physique et aux conditions météorologiques : en d'autres termes, faire un nombre d'aller-retours suffisant pour "faire" des globules rouges, permettre à l'organisme de capter plus d'oxygène et ainsi réduire les risques d'oedème, le tout en préservant sa condition physique et en saisissant les fenêtres d'ascension que la montagne nous offre. Plus d'un mois que les discussions excitantes sur la meilleure stratégie à adopter nous démangent, plus d'un mois qu'on essaie de se restreindre - conscients de la stérilité de faire des plans sur la comète. Tout au plus s'est on laissé la petite liberté a Phu d'envisager les différentes possibilités, prétextant de la nécessité de les avoir en tête. Nous les avions en tête depuis bien longtemps. Nous savions qu'une des questions clefs était de décider si une nuit au camp 2 était nécessaire avant de tenter le sommet, nous hésitions sur la possibilité de redescendre au camp 1 sans dormir au camp 2 le jour du sommet et nous réfléchissions sur le nombre de nuit à dormir au camp 1 lors de notre premier portage. La première question a été vite résolue (une fois au camp 2, il faut tenter le sommet! Répéter l'effort d'atteindre le second camp est dangereux et inutile pour atteindre un sommet a 7200 mètres), la seconde était stérile (encore fallait-il se retrouver en situation de le tenter ce sommet...) et la troisième dépendait de paramètres physiques personnels.

Le 16 Novembre au matin, nous nous réveillons au High camp - 5750 mètres a l'altimètre. Ce jour-ci nous montons installer le camp 1 a 6100 mètres. 350 mètres de dénivelés seulement, et pourtant... Nous n'arrivons qu'à 12h après un départ à 9h. Affligeant. A peine plus que du 100 mètres/heure. Aucune difficulté technique majeure, mais une grande concentration pour contourner les dangers vicieux du glacier. Un mur entre 30 et 40 degrés nous met au supplice. On est loin de l'épuisement mais le souffle est court, l'acclimatation d'Alexis est à parfaire, mes sinus me font souffrir le martyre. Chaque respiration de cet air froid et sec est un coup de poignard dans mon cerveau, mes yeux pleurent. Nous arrivons tout de même sous contrôle au pied du mur qui a tant occupé nos esprits. Nous réalisons à peine. Une préoccupation : installer le camp à l'abri des avalanches possibles et décider de la suite. Les questions désormais légitimes arrivent...

La séparation

Pas facile... Décider de se séparer au dessus de 6000 m, avec tous les dangers possibles, après avoir tout préparé, réfléchi, voulu à deux. Je ne pouvais pas rester une nuit de plus, ma sinusite avait fait de ma dernière nuit un enfer - je me sentais capable physiquement de remonter dormir une nuit supplémentaire avant l'ascension finale. Alexis ne se sentait pas de redescendre après les efforts réalisés et encore moins de faire un aller-retour supplémentaire au camp 1 - il avait en revanche besoin de s'acclimater : dormir au dessus de 6000 m, puis récupérer pendant au moins 48h au camp de base. Nous avons fait le choix de suivre les conseils de nos corps, qui ne sont pas toujours les meilleurs... Nous avons fait le choix de se passer de la cordée sur la redescente au camp 1, le parcours étant désormais tracé et évitant les crevasses. Nous avons fait ce choix en pensant au sommet et nous l'avons fait avec conviction.


Psychose

Nous étions proche des jours décisifs. Questions et préoccupations deviennent obsessions et sources de psychoses. Alexis rentrerait demain, et je ne pourrais certainement pas attendre le 23 ou le 24 Novembre pour l'ascension. Les deux climbing Sherpas qui sont restes au camp 1 avec Alexis ont évoqué la date du 21 - 48 heures après leur redescente. Je leur ai pour l'instant opposé un refus, mais je pense que je vais accepter. L'hiver est proche, il n'y a plus de temps à perdre. J'ai à peine regardé le mur, il a l'air d'avoir beaucoup bougé depuis l'expé française de 2002. Les Sherpas me semble-t-il étaient sceptiques. En même temps, Migma est jeune et je ne fais pas confiance a Hongshu qui nous a rejoint au camp de base et qui semble avoir une motivation défaillante. On tentera quelque chose tous les deux au pire - et puis Migma nous suivra, c'est notre pote. La date du 21 tourne dans mon esprit. 3 jours pour se soigner, récupérer des forces. Mais ce mur... J'aurais du aller le voir de plus prêt... Il va falloir évaluer les risques de chute de seracs, d'avalanches. Je me réfugie dans la tente cuisine - au chaud - et il y a de l'ambiance! Les porteurs et cuisiniers sont tous là. Une dizaine de personnes, dans une dizaine de mètres carre. Je me mets sous antibio - la liste des effets secondaires possibles me paniquent. Je scrute le cuisinier pour être sûr de l'hygiène : hors de question de me faire surprendre par mon estomac en plus. Trop classique, trop vécu! Je vais éviter ça au moins. Un bon Dal bat, ça ne risque rien. Lakpha se rend compte que je ne suis pas au top, et en quelques minutes je me retrouve a faire des inhalations, la tête dans un sceau, d'une sorte de baume du tigre local. C'est une petite délivrance. Je saisis ces minutes d'apaisement pour aller me coucher et décider que demain je redescendrai a Yak Karkha ou a Phu pour éviter de trop penser, humer de l'air moins sec et garder la forme. Nous sommes tous les deux seuls dans nos tentes a 1000 mètres de différence, la nuit est longue. Le lendemain les premiers flocons tombent, le vieux tibétain de Yak Karkha me bénit une nouvelle fois, une carcasse de blue sheep sur le trajet témoigne de la présence d'un léopard des neiges dans la région, je remonte au plus vite retrouver Alexis qui doit être redescendu. Les doutes ne sont pas terminés.


Les photos :
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Premiere lecon d'humilité



Les incantations bouddhistes terminées, nous sommes à présent entièrement concentrés sur la montée au premier camp d’altitude. Faire notre sac apparait plus stratégique que prévu: trouver un compromis entre légèreté du sac et confort aux camps d’altitude nous oblige à faire des choix. De plus, la répartition des lyophilisés est l'objet de longues discussions pronostiquant nos futurs aller-retour entre les différents camps d’altitude. Nous prévoyons trois camps (5700, 6100, 6700) pour atteindre le sommet entre lesquels il sera nécessaire d’osciller afin de parfaire notre acclimatation et éviter tout risque d’œdème.

La progression sur neige étant minime vers le premier camp d altitude, quelques porteurs nous proposent de nous accompagner pour notre première montée. Cette aide est bienvenue et nous permet d’alléger nos sacs qui approchent les 20 kgs.



Au réveil, l’excitation se fait sentir au camp de base. Le jour ou l’on s'attaque a ce sommet tant convoité depuis plus de un an est enfin arrive. Nous allons enfin pouvoir admirer cette cime pyramidale dont seules quelques photos nourrissaient notre imagination. Mais l’excitation laisse vite place à la difficulté physique. Nous nous étions pourtant préparés psychologiquement à des efforts physiques intenses durant nos longues journées d’approche, la surprise n’en n’est pas moindre...

A plus de 5000m d’altitude, environ 2/3 de l’oxygène a disparu. De plus, le parcours à travers la moraine et le poids de nos sacs font de cette montée une véritable leçon d’humilité. Nous évoluons en silence, concentrés sur notre souffle et sur notre rythme, motivés par l’espoir de voir apparaitre l’emplacement du camp après la prochaine bosse de la moraine. Sur notre droite, les crevasses du glacier forment un paysage cristallin éblouissant. Prudent, nous suivons autant que possible la moraine sur la gauche, privilégiant le cote fatigant de la marche sur rocher aux dangers des crevasses.



Arrivé au bout de la moraine, les porteurs déposent leurs charges et redescendent vers le camp de base. Nous décidons d’installer le premier camp un peu plus loin sur le glacier. Nous sommes à bout de force et monter les tentes nous demande d’aller puiser le peu d’énergie qu'il nous reste. Mal acclimaté, le moindre mouvement nous essouffle et nous admirons la condition physique de nos deux climbing sherpas qui nous aident dans ces derniers efforts.

Guillaume m’enseigne les premier réflexes du camp d’altitude : faire fondre de la neige, se forcer à manger, s’acclimater ie ne rien faire! Rattrapé par le froid nous ne tardons pas à nous camoufler dans nos doudounes et sacs de couchage. Cependant la condition de Guillaume se dégrade et sa sinusite lui promet une nuit peu reposante.
La montée au prochain camp est remise en cause mais l’appel satellite a Axelle a un effet curatif indéniable et au petit matin Guillaume reprend la tète de la cordée !


Quelques photos !

Folkore ou symbole ?


Le camp de base est situé à 5100 mètres d'altitude, le lieu est agréable car éloigné de la moraine. En revanche nous sommes exposés au vent. Le sommet est à peine visible, mais nous avons une vue spectaculaire sur l'arête sommitale de l'Himlung Himal. Arrivée en début d'après-midi nous nous approprions notre nouvel espace de vie. Paradoxalement, pourtant face à l'immensité, nous nous apprêtons à rester confiner dans quelques mètres carré. Pendant les 10-15 jours à venir, la tente dîner, la tente toilette et notre tente seront nos espaces de vie.

Le premier réveil est sous le signe d'un mauvais pressentiment de l'ensemble des membres de l'expédition. Un très léger tapis de nuages flottent ça et là dans ce ciel qui avait été jusqu'à présent d'un bleu éclatant. Le vent est tombé. Ce type de signes est en général annonciateur d'intempéries dans les 3-4 jours à venir. Nous étions venus braver le froid de Novembre pour profiter de la stabilité climatique : c'est un scénario pas envisagé jusqu'à présent qui se met à préoccuper nos esprits.

Début d'après-midi, les Népalais nous invitent à nouveau à quitter nos tourments pragmatiques et s'en remettre aux "Dieux des montagne". Un lama a fait le trajet jusqu'au camp de base pous s'adonner à la traditionnelle cérémonie sans laquelle les Sherpas refuseraient de nous accompagner lors de l'ascension. Les drapeaux à prière ont été installés au coeur du camp de base, tout notre matériel a été placé au centre de l'édifice. Avec le vent retombé, nous sommes étonnamment bien dehors. La lumière éclaire les visages heureux des Népalais. Le lama se met à faire retentir les premiers sons de sa cloche, des prières bouddhistes et leur ritournelle lancinante ne tardent pas à accompagner le son clair du petit instrument. Les visages sont désormais rieurs. Aucune gravité dans cette cérémonie. Le sacré est avant tout tradition, le symbole donne une image de folklore. Les blagues se mettent même à fuser. Des poignées de riz sont lancées. De la farine est étalée sur les visages et le tout se termine avec une gorgée de whisky qui semble faire partie du cérémonial.

Piolets et crampons bénis, on ne peut s'empêcher de retourner à nos préparatifs. Nous voulons monter au High Camp, à 5800 mètres dès le lendemain. Nous envisageons d'installer le camp 1 à 6100 mètres le jour d'après. Les choses sérieuses commencent, nous sommes sereins mais très consciencieux. Chaque repas en altitude est détaillé, les actes d'urgence répétés, le matériel contrôlé... Pour la première fois depuis Septembre, il m'est difficile de rester concentrer sur mon roman. Quelques minutes de téléphone avec les proches entre frustration et soulagement, puis tout le monde au lit...

Les photos :
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vendredi 5 décembre 2008

Un ancien camp de refugiés tibétains


Plus de 4000 mètres.... Altitude qui commence a démanger : déjà une semaine de trek dans les pattes et ce sentiment de proximité avec la haute altitude, la vraie. On a la bougeotte en se réveillant a Phu, et pourtant, il nous faut plus que jamais s'acclimater avant notre arrivée au camp de base. Une journée de repos, une journée a travailler notre patience, a mettre de cote nos velléités de tester notre condition physique. Alexis a déjà grimpe la veille sur les pentes raides a l'arrière de la ville. L'antecime de l'Himlung Himal - un des sommets au dela de 7000 mètres de la vallée - est visible des hauteurs du village. Notre physique étant pour l'instant préservé, Lakpha Sonam Sherpa nous offre de partager avec lui des moments de spiritualité. Moments toujours particuliers pour nous, jeunes occidentaux, rationnels, modernes. Nous sommes emplis de respect et de tolérance pour toute forme de pratique religieuse, mais les réflexes sont indéniables : le folklore est remarqué, il est même marquant et obstrue les envies éventuelles d'une vraie intériorisation des enjeux qui nous attendent lors de l'expédition. Le monastère Bouddhiste est situé au dessus de Phu, il est étonnement riche, préservé et contraste avec la rusticité du village. La vue est colorée grâce aux nombreux drapeaux qui flottent et qui animent le paysage cuivré des falaises et neigeux des cimes. Les deux jeunes filles moines nous offrent un collier et nous invitent a avaler des graines, aides symboliques pour notre ascension.

Avant-dernière journée avant l'arrivée au camp de base : nous nous dirigeons vers Yak Karkha, ancien camp de réfugié tibétain, regroupement de quelques abris en pierre utilisés par les bergers pour s'occuper des troupeaux de Yak et de moutons. Nous marchons avec les poneys, le sentiment d'être hors du temps est encore plus prégnant : un convoi lent, une faune riche pour l'altitude avec un grand nombre de yaks, d'aigles, de moutons, de "blue sheep", et cet éloignement progressif du dernier signe de civilisation pour se rapprocher de la frontière avec la Chine : frontière vierge et frontière naturelle. Yak Karkha, c'est rude. Le froid a cette période saisit les corps et s'enfoncent dans les chaires jusqu'aux os. Deux petits enfants deja uses par la pauvreté et le manque d'hygiène viennent s'intéresser à nous, tandis qu'un troisième présente tous les symptômes d'une souffrance traumatisante au froid et d'une folie difficile à définir. A part ces trois enfants égarés, le beau père de Lakpha - un des derniers "chefs de village"- dépèce un mouton méthodiquement sous les yeux amusés des petits traînant à 4 h de marche de leur village, mais également sous notre regard inhabitué à ce genre d'exercice.

Nous ne tenons plus, à 15h nous montons plus haut. 1h30 de marche raide et l'altimètre indique les 5000 mètres, une première pour Alexis. La vue est spectaculaire, nous sommes désormais juste en face du glacier interminable de l'Himlung Himal avec une vue précise sur le sommet. De l'autre côté nous voyons des sommets les plus proches - Lamjung Himal, Pisang Peak à la chaîne entière des Annapurnas, nous pensons même apercevoir le Daulaghiri au loin - un des 8 sommets au-delà de 8000 mètres au Népal. L'excitation est réelle. Le lendemain nous arriverons au camp de base.

Les photos :
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mercredi 3 décembre 2008

Nous voilà ailleurs


Comment avons pu nous laisser surprendre? Nous savions pourtant. Nous avions choisi le sommet en fonction. Pourtant quand nous avons émergé a 3800 mètres dans les villages de Meta, puis de Kyang, nous nous sommes égarés... Rares moments de l'existence pendant lesquels tous nos centres d'intérêts disparaissent. Le monde extérieur prend le dessus, et nous l'acceptons car ce monde extérieur est émouvant, étonnant.


Émouvant de par la beauté des paysages. Installés dans les ruines du village de Kyang, village abandonné en pierre ne faisant plus qu'un avec la nature qui l'entoure, nous voyons arriver au loin nos poneys, la lumière de fin de journée caresse les hautes herbes et des aigles s'amusent dans ce ciel encore si bleu, duquel émerge au loin le Lamjung Himal, l'Annapurna II, le Pisang peak. Les paysages terreux, cuivrés contrastent avec le reste du Népal. L'émotion vient certainement de ce contraste qui nous prend au dépourvu. Ce nouvel environnement s'offrant a nous, ainsi que le début d'un froid qui ne nous quittera plus, nous rapprochent les uns des autres. Les premières confidences au coin du feu nous réchauffent et nous font sentir que notre voyage a commencé.


Étonnant surtout le village de Phu. Forteresse habitée a la différence de Kyang. Forteresse de terre, de pierre, entourée de poussière, animée par les cris d'une population locale qui a été coupée du monde pendant 1 siècle et jusqu'en 2000. Arrivés vers 11h, nous avions trouvé la force de dompter ce froid nouveau, aidés par un levée de soleil qui nous offra quelques rayons oranges sur les sommets au loin. Le chemin est taillé dans la roche, au fond d'un canyon, et nous ralentissons pour profiter de chaque seconde de ce paysage qui devait pourtant nous accompagner les deux semaines a venir. A Phu, le village est en ébullition, les visages curieux, surpris, méfiants : contraste a nouveau... Contraste avec les rencontres faites dans les autres régions du Nepal. Nous nous installons dans notre nouvel environnement, a cote de chez Lakpha Sonam Sherpa. Nos yeux sont encore partout s'arrêtant sur tous les détails : la couleur des drapeaux, les blue sheep au loin, et toujours ces cris d'habitants communiquant entre les étages du village. Nous resterons deux jours ici, pour nous acclimater, pour visiter l'unique temple bouddhiste de la région et pour comprendre... Comprendre que le roi du Nepal a préféré isole cette région plutôt que de chasser les nombreux réfugies Tibétains qui y vivaient, comprendre que la population locale a été victime de cette acte de bonté, comprendre qu'aujourd'hui un conflit est en préparation entre la modernité aux portes de la vallée, sur le tour des Annapurnas, et le mode d'existence primaire des habitants des villages de Naar et de Phu, comprendre enfin le cote unique de ce voyage hors du temps.

Les photos :
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mardi 2 décembre 2008

Des rencontres vers l'ailleurs


Après un trajet de bus classiquement chaotique vers Besi Sahar, la tension est à son comble. Nous sommes tous les deux comme seuls chacun de notre côté, impatients. La montagne nous attend; le plaisir de la marche d'abord, puis les pentes enneigées et le défi du sommet. Pourtant rien de cela occupe notre esprit : nous n'avons de cesse d'anticiper les personnalités de nos futurs camarades d'expédition Népalais, nous avons soif de rencontre, nous espérons être propulsés au cœur de la vie de la communauté Sherpa, vie rythmée par les ascensions, la religion et la bonne humeur.

Les Népalais de la communauté des Sherpas ont été rapidement considérés comme une magnification de la bonne humeur par les alpinistes occidentaux. Les récits des plus grandes ascensions donnent le sentiment que les montagnards du monde leurs ont donnés une image semblable à celles qu'ils ont eux dans leur pays respectif : archétype du "Monsieur de la montagne". Image non avouée d'une forme de primitivité, associée a la bonté, l'honnêteté, la loyauté, la modestie. La communauté Sherpa semble s'être appropriée cette image, l'intégrant a leur culture bouddhiste riche et apportant la force, l'énergie, la volonté nécessaire aux expéditions en haute altitude.

Spiritualité, loyauté et force : l'idéal compagnon est devenu ami tout en restant serviteur d'élite. La complémentarité est ainsi née, l'ambiguïté des relations aussi.

Nous étions donc la, fatigués, assis dans une maigre lodge de cette ville triste, porte d'entrée du tour des Annapurnas, qui n'a pas su trouver le compromis entre son passé et son présent de ville touristique. Alors Migma Sherpa est apparu : les yeux rieurs, les lèvres charnues, chevelure "John Travolta", la voix assurée et la démarche convaincue. Nous étions pris en main, d'emblée, et il était jeune! Le Sherpa moderne.

Plus tard, j'ai compris ce que voulait dire Sherpa moderne a mes yeux : il est devenu un ami sans camoufler la domination des rapports. Il nous a fait découvrir le Népal moderne, en ne niant pas la distance prise par les nouvelles générations avec les traditions. Migma Sherpa est le fils naturel du premier Népalais a avoir gravi l'Everest sans oxygène avec Messner, il est fils par alliance de Natemba Sherpa ayant gravi des sommets au delà de 8000 mètres a 36 reprises. Migma a 22 ans.
Plus tard nous avons également rencontre Lakpha Sonam Sherpa, qui nous guidera dans la vallée de Naar et de Phu, dans sa vallée. Jeune papa de deux tous petits enfants, des traits fins et réguliers, une douceur apparente qui contraste avec sa volonté maladroite de vouloir avancer dans la vie, de vouloir faire de son modeste logement la première lodge du village Moyen Ageux de Phu, de vouloir devenir un climbing Sherpa accompli, de gravir l'Everest...

Le lendemain, au petit matin, nous partions pour 30 jours d'expéditions avec 17 poneys de matériel. Les premier jours consistaient a rejoindre la ville de Chame sur le classique tour des Annapurnas, avant de s'évader vers l'inconnu.

Les photos de ces premiers jours ci dessous :

jeudi 27 novembre 2008

Vivants, contents, frustrés, réalistes et projetés vers l'avenir

Après 15 jours au-dessus de 4000 mètres d'altitude, nous voici redesendus dans le village de Chame sur le tour des Annapurnas. Profitant d'une connection Internet innatendue sur ce trek classique, nous vous remercions pour vos messages de soutien. Pour l'instant, nous pouvons juste vous offrir quelques adjectifs, vous faisant sentir nos sentiments du moment. Dès notre arrivée à Kathmandu, nous vous ferons revivre notre aventure avec nos mots et nos photos :

- l'excitation des rencontres avec les Népalais de l'expedition, et la particularité des relations nouées;
- la fascination face à la decouverte de cette vallée longtemps oubliée, isolée;
- l'émotion devant les paysages uniques menant au camp de base;
- la curiosité ressentie en vivant les cérémonies bouddhistes préalables à l'ascension;
- le froid, la concentration;
- les premiers efforts physiques;
- le froid, les doutes;
- la frustration, le réalisme et notre sommet...

Nous vous embrassons tous très fort

vendredi 21 novembre 2008

6,500 mètres, point culminant de l'expédition...

Après une nuit difficile, venteuse, Guillaume et Alexis ont atteint ce matin leur nouvel objectif: ils ont grimpé le long d'une arrête du Ratna, jusqu'à 6,500 mètres. Ils ont admiré la vue sur les Annapurnas dans le froid et le vent ... et sont vite redescendus jusqu'au Camp 1, qu'ils ont desinstallés, puis jusqu'au Camp de Base.

Un peu de déception, bien sûr, de n'avoir pu faire le sommet. Mais ils parlent tous deux d'une expérience forte, avoir été membre d'une expédition au coeur de l'Himmalaya..


Guillaume et Alexis repartent demain ou après-demain pour leur trek de retour. Ils passeront par un col à 5,500 mètres, pour visiter le village de Nar, avant de rejoindre la classique route du Tour des Annapurnas.

jeudi 20 novembre 2008

La loi de la montagne

Alexis et Guillaume sont actuellement au camp 1 à 6100m, en forme et bien acclimatés, mais ils ne tenteront pas le sommet demain, comme ils l’avaient initialement prévu.
3 raisons à cela :
- l’arrivée de l’hiver, qui a entraîné d’importantes chutes de neige ces deux derniers jours ;
- l’impossibilité pour les climbing sherpas d’installer des cordes fixes sur le mur de 800m de dénivellée et 50° d’inclinaison entre le camp 1 et le camp 2, puisque ce mur est entièrement recouvert de glace bleue et non de neige ;
- la présence de séracs menaçants surplombant ce mur, danger accru par la neige récente.

Tenter le sommet signifierait évoluer sur ce mur glacé en utilisant des broches à glace, tout en portant un sac de plus de 10 kilos pour installer le camp 2. Ils ont pris la sage décision de ne pas s’aventurer dans une telle ascension qui demande une technique qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment pour être sereins.

Ils ont donc prévu demain de monter jusqu’à 6400 m, afin d’avoir la plus belle vue possible sur les Annapurnas et les montagnes environnantes, avant de désinstaller le camp 1 et de redescendre au camp de base.

Ils espèrent disposer d’une connexion Internet dans quelques jours afin de nous faire partager leur expérience et mettre en ligne quelques photos.

Bravo les gars pour cette belle aventure !

dimanche 16 novembre 2008

Vers le Camp 1

Guillaume et Alexis sont arrivés au Base Camp du Ratna Chuli le 14 novembre. Il fait près de moins 20°C la nuit, et il y a beaucoup de vent : le froid est rude, et les batteries, des caméras, téléphones satellite, appareils photo, faiblissent. En revanche, le temps est stable : pour l'instant, il n'a pas neigé. Alexis et Guillaume sont donc partis ce matin pour le High Camp, à 5,800 mètres, après un jour de repos au Base Camp. Ils sont arrivés très fatigués, car très chargés : ils portent tout le matériel pour installer le Camp 1. En plus, Alexis souffre des classiques maux d'acclimatation, Guillaume quant à lui a pris froid - c'est le cas de le dire.

Ils espèrent monter demain matin au Camp 1, à 2h30 de marche du High Camp, pour installer le camp - mais ils aviseront demain matin, s'ils sont suffisamment en forme pour monter ou s'il est plus raisonnable de redescendre au Base Camp et repartir au Camp 1 d'ici deux ou trois jours. Ils seront donc de retour au Camp de base demain ou après-demain.

lundi 10 novembre 2008

Un long trek jusqu'au Base Camp du Ratna Chuli...

Alexis et Guillaume ont quitté Pokkhara, les piscines, le parapente, et le vélo, mardi dernier. Ils ont rejoint leurs porteurs à Beshisahar, afin de commencer leur trek vers le camp de base du Ratna Chuli. Pendant quelques jours, ils ont suivi les sentiers du tour des Annapurna, jusqu'à Dharapani. Vendredi, ils ont bifurqué vers l'Est, et ont pénétré dans les vallées, perdues, de Nar et de Phu. Ils sont maintenant à Kyang, à plus de 3 500 mètres d'altitude : Alexis parfait son acclimatation. Le froid se fait de plus en plus sentir...

Comme d'habitude, Guillaume et Alexis marchent généralement cinq ou six heures le matin, et arrivent donc en tout début d'après-midi au prochain camp. Ils sont rejoint dans l'après-midi par les quatre ou cinq porteurs de leur expédition, accompagnés de la vingtaine de poneys qui portent leur matériel d'alpinisme. Voyage d'un autre temps, où les journées se ressemblent, rythmées par la marche quotidienne, les dîners à 18h pour profiter des dernières lueurs du jour, les longues heures de lecture...


Alexis et Guillaume prévoient d'arriver au camp de base le 14 novembre. Ils se prépareront alors à l'ascension.

lundi 3 novembre 2008

Mountain Biking in Pokhara Valley



Après quelques jours de repos a Pokhara et une sortie en parapente acrobatique, nos jambes nous démangent et nous nous lançons dans une petite ballade en VTT. Le manque d'informations sur les parcours possibles nous oblige a être accompagnés mais nous rencontrons rapidement Tangi, francais exilé depuis plus de 5 ans au Nepal. Brut de décoffrage au premier abord, Tangi s'avère être quelqu'un de généreux et profondément concerné par la situation des jeunes au Nepal. A la différence des autres expatriés au Nepal, cet ancien vettetiste professionnel a ouvert l'unique école de VTT de Pokhara afin de venir en aide auprès des jeunes Nepalais qui par manque d'encadrement finissent par s'exiler dans les pays voisins ou une vie meilleure leur est vendue.

Au delà de transmettre une passion, Tangi se fixe pour objectif de :
- Scolariser tout jeune entrant dans son école
- Sensibiliser ces jeunes aux richesses de leur pays
- Apporter une formation de guide professionnel

Nous partons ainsi sur les coup de 6h accompagné d'un de ses apprentis guides nepalais. Après une première boucle dans le sud de Pokhara ou nous découvrons avec étonnement les difficultés du VTT de montagne, nous rejoignons le nord de la ville en direction de Sarangkot.
Plus haut point de vue de la ville et point de départ de tous les parapentiste, cette colline finit de nous achever après une heure de montée sous un soleil aux zénith. Mais la vue dégagée sur l'ensemble de la chaine des Annapurnas nous fait rapidement oublier nos douleurs musculaires. Nous terminons notre parcours après une descente technique mais grisante a travers les cultures nepalaises. Notre prudence nous forcera d'ailleurs a continuer a pied sur certains passages ! Un accident est vite arrivé et l'expedition se rapproche a grands pas.

Départ demain 6h vers Besi Sahar ou nous rejoignons l'ensemble de l'expédition pour la première journée d'approche.

L'aventure commence !

samedi 1 novembre 2008

Annapurnas: nouvelles photos en ligne!


Une nouvelle serie de photos du sanctuaire des Annapurnas est disponible ici:
http://picasaweb.google.com/thomas.mirman/SanctuaireDesAnnapurnas#

Entre orgueil et humilité: la découverte


La question est légitime. Pourquoi consacrer tant de temps, d'argent a un voyage en parti éprouvant et avec une dimension risque non négligeable?
Pour le défi? Certainement au premier abord. Toutefois, on reste loin de l'exploit sportif. Pour les paysages? C'est sur cela attire. Le haut des montagnes, c'est sympa : on voit loin! Mais bon, comme dirait ma mère, on a quasiment les memes dans les Alpes.

En réalité, je pense qu'il s'agit de plaisirs/découvertes plus communs a tout long voyageur/explorateur : échapper temporairement a deux contraintes fortes de nos vies, le temps et les codes sociaux.
La coupure est réelle que cela soit avec nos proches ou avec l'actualité. Elle est dépaysantes, avec la découverte d'un nouveau pays et d'un environnement nouveau : la haute altitude. Le mode de vie change également radicalement. Avec une vingtaine de Nepalais porteurs, nous allons a nouveau être pendant 1 mois itinérants. L'absence de confort, la négligence de l'hygiène, l'exposition de nos faiblesses morales ou douleurs physiques sont des caractéristiques de cette vie non sédentaire. Nos codes sociaux traditionnels disparaissent petit a petit dans une nouvelle micro-société, dont les membres partagent des objectifs simples : marcher, porter, monter. Dans ce quotidien , on se sent exister physiquement, on se prouve qu'on existe. Enfin, il y a cette lenteur, nécessaire a l'acclimatation. Nous vivons avec le soleil : coucher 18h30-19h, levée 6h. La patience, l'humilité, la capacité a s'égarer mentalement, tout en gardant ses objectifs a l'esprit, sont des qualités au moins aussi importantes pour l'himalayiste que la pure dimension physique.

Ce type d'aventure est une parenthèse dans la vie, une petite vie a part entière qui inspire et qui nous aide a nous découvrir.